Une victoire importante pour l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec (ACSCQ)

Le 8 février 2022, après 13 ans de débats juridiques devant le Bureau international du Travail, la Commission des relations du travail, le Tribunal administratif du travail et la Cour supérieure, l’ACSCQ, représentée par Me Jean-Luc Dufour et Me Frédéric Tremblay alors associé du cabinet Poudrier Bradet et maintenant arbitre indépendant, a remporté une importante victoire devant la Cour d’appel.


Rappelons qu’en 2009, l’ACSCQ avait déposé auprès de la Commission des relations du travail de l’époque une demande en accréditation syndicale. Comme les cadres sont expressément exclus du Code du travail, cette demande en accréditation s’accompagnait d’une contestation constitutionnelle de cette exclusion prévue à l’article 1l) du Code du travail, et ce, sur la base du principe voulant que la liberté d’association de ces cadres de premier niveau fût brimée, depuis plusieurs années. S’appuyant sur plusieurs jugements de la Cour suprême du Canada qui avait reconnu que le droit à la négociation collective était une composante de la liberté d’association, l’ACSCQ prétendait que cette exclusion du Code, combinée au refus de l’employeur de négocier des conditions de travail, constituait une atteinte à la liberté d’association des cadres de premier niveau qu’elle représentait.


Si le Tribunal administratif du travail avait accueilli les prétentions de l’ACSCQ et considéré que cette exclusion, au regard de la preuve présentée, constituait une violation à la liberté d’association qui ne pouvait se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique, la Cour supérieure avait, quant à elle, considéré que le comportement de l’employeur ne pouvait servir de base à cette contestation constitutionnelle et qu’il n’y avait pas atteinte à cette liberté.


Or, la Cour d’appel, par sa décision, rétablit le jugement du Tribunal administratif du travail. Les points marquants de cet arrêt de la Cour d’appel sont les suivants :

  • La notion de cadre, prévue au Code du travail, n’admet aucune distinction et ne fait que reproduire les principes d’organisation des entreprises à l’époque de la production industrielle;
  • Le droit canadien, dans le domaine des relations du travail, n’est pas immuable et le Code du travail, comme les autres lois, est censé représenter aussi fidèlement que possible la volonté commune et les mœurs d’une société. Ainsi, force est de constater que l’exclusion sans nuance de tous les niveaux de cadres de la définition de salarié apparaît clairement être en porte-à-faux avec l’évolution de la liberté d’association, suivant la jurisprudence récente de la Cour suprême, et que le déséquilibre à cet effet demeure injustifié, au sens des conditions d’application de la Charte.
  • Si l’employeur a refusé de négocier les conditions de travail avec ses cadres employés, le gouvernement y est aussi pour beaucoup dans cette situation. Ce dernier savait, depuis plusieurs années, surtout après les décisions rendues par le Bureau international du Travail, que l’exclusion des cadres du régime de relations de travail instauré par le Code avait pour effet de prohiber aux cadres de premier niveau la « couverture » offerte par les mécanismes de protection du processus de négociation collective qu’il contient et de les soumettre à ce qu’il considérait être la « loi de la jungle ». Ainsi, pour la Cour d’appel, il n’y avait qu’un pas à franchir pour conclure, au regard des faits du dossier, que l’exclusion « orchestre, encourage ou tolère de manière substantielle la violation », par l’employeur, de la liberté d’association.
  • C’est l’approche adoptée par la Cour suprême, dans l’arrêt APMO, qui favorise le test de l’entrave substantielle qui doit prévaloir.
  • Ainsi, la Cour d’appel conclut que le régime législatif contesté prive les cadres de premier niveau de la Société des casinos du Québec de protection adéquate quant à l’exercice de leur liberté d’association dans leur interaction avec l’employeur. La loi ou l’acte de l’État, de même que la façon de faire de l’employeur, a pour effet d’entraver, de façon substantielle, l’activité de négociation collective, décourageant ainsi les cadres de la Société des casinos du Québec à la poursuite collective d’objectifs communs.

La Cour d’appel, considérant l’effet potentiel de son jugement sur le régime québécois des relations de travail des cadres en général, ou de cadres dont la situation « au jugement du tribunal » s’apparenterait à celle des cadres de la Société des casinos du Québec, estime approprié de suspendre, pour une période de 12 mois, le caractère inopérant de l’exclusion décidée par le Tribunal administratif du travail.

Reste à savoir maintenant, ce que fera le gouvernement du Québec et si la Société des casinos du Québec et le Procureur général porteront le dossier en appel devant la Cour suprême du Canada au cours des prochaines semaines.